ETIENNE DE VAUX LA SENTENCE D’EXCOMMUNICATION
(Extrait du manuscrit de Monsieur Thouvenel)
Introduction :
Etienne de Vaux, cadet de famille, ne dut pas trouver dans son domaine de quoi satisfaire ses appétits. Le sol ingrat rapportant peu, il profita de l’amitié dont l’honorait de Comte Engelbert II de Brienne, pour se faire donner la garde (ou avouerie) des propriétés que ce dernier possédait dans la vallée de la Blaise (1). Non content de cette garde, qui, à son dire, ne lui rapportait pas grand chose, Etienne se rendit coupable d’usurpation des églises de Ragecourt, Vaux-sur-Blaise, Fays, Trémilly, Ville-sur-Terre, Saint Christophe et Vaudricourt, pour augmenter ses revenus.
L’Abbé de l’Abbaye de Montié-en-Der, Dudon 1er, à qui appartenaient ces églises, réclama ses biens, indignement volés. Etienne refuse et se rit de ses prières et de ses menaces : ceci se passait en 1027.
L’Abbé Dudon réunit ses moines et se rendit à Reims le jour de la Pentecôte, où se trouvait le Roi Robert, pour le couronnement de son fils, Henri (2). Le Roi de France accueillit favorablement le clément abbé.
Charte de 1027 –L’ excommunication - (extraits traduits du texte latin d’origine) :
…..
Nous l’exposons à l’illustre assemblée de nos fidèles, savoir :
Les Archevêques, Abbés, Moines, Clercs, Comtes et d’une foule d’Autres (…Fidelium nostrarum clarissimae Congregationi, Archiepiscoporum multorum…)
………
Donc, la Sainte Assemblée des évêques et l’aimable foule de nos grands seigneurs, jugeant convenable d’accueillir la demande de cet homme religieux, et à qui il paraissait utile que le dit Chevalier Etienne de Vaux fut éloigné, et présentement, nous ne pouvons rendre d’autre justice que de le frapper d’anathème, auquel, décret rendu, nous donnons volontiers notre assentiment. (3)
(…decrevere percuti gladio anathemis quorum decreto libente…)
Nous avons seulement suggéré au dit Abbé qu’il s’abstint de cela dans ce jour de Dieu, disant qu’il n’est pas de notre volonté de maudire quelqu’un le jour que nous avons choisi pour bénir notre fils. Mais le jour suivant, le dit Abbé, renouvelant sa déclaration en notre présence, et affirmant qu’il avait déjà fait la même chose dans plusieurs lieux,
Nous Ordonnons,
Sans préjudice, à la foule des évêques qui étaient en présence des princes, de condamner à la malédiction éternelle le Chevalier dont il vient d’être parlé, à moins qu’il ne se rendit. Ce qui est fait avec l’autorité de Dieu, nous excommunions et frappons de toutes espèces de malédictions ledit Chevalier Etienne, qui a usurpé la chose des saints apôtres Pierre et Paul, et de saint Berchaire, martyr, à moins qu’il rende ce dont il s’est emparé, et ne donne pleine satisfaction. Nous, de même que les autres, fortifiant les liens de cet anathème, ordonnons qu’il soit en vigueur jusqu’à complète satisfaction, et que les choses faites soient écrites et signées des pontifes et des princes par le jugement desquels elles ont été faites…
(…quae acta denotarentur et Pontifices cum Principibus quorum judicio haec gesta sunt subscriberentur)
Suivent les signatures de 10 évêques, 3 abbés et plusieurs Comtes du Royaume.
L’excommunication et ses effets :
L’excommunication dont fut menacé Etienne de Vaux, après sa lutte déplorable avec l’abbé Dudon, était une terrible cérémonie. Le Clergé, tout puissant alors, se rendait en grand cortège, cierges allumés, au domicile de l’excommunié. Un cercueil était déposé à l’entrée du château, montrant ainsi au coupable qu’il était exclu du nombre des vivants ou de la communauté des fidèles (4). La sentence était lue par l’evêque tandis que des moines mettaient la flamme de leur cierge à terre et les jetaient ensuite. Le bouclier de l’excommunié était renversé et attaché à la queue d’un cheval de labour, son épée était brisée, ses amis, ses hommes d’armes le quittaient.
Nulle cérémonie religieuse n’était célébrée sur le domaine, à son approche, l’église se voilait de deuil, les chants cessaient, les cloches ne sonnaient plus. Nul ne devait manger ni boire avec lui, tout ce qu’il avait touché était livré aux flammes.
Etienne, étonné d’abord que l’abbé Dudon fit intervenir le Roi de France, inquiet puis craintif, sachant ce qui l’attendait, recula et rendit (5 ) ce qu’il avait enlevé.
(Fin de l’extrait)
Note 1 :Il est indispensable de rappeler que les Brienne, tout grands seigneurs qu’ils soient, étaient connus dans la région depuis fort longtemps pour l’avoir infestée de leurs brigandages ; ils avaient eux-mêmes « imposé » leur avouerie aux abbés de Montié-en-Der : que pouvaient faire ces pauvres moines contre des voisins si puissants, appuyés par Etienne, tout jeune seigneur, très apprécié par ses amis Brienne, pour ses qualités guerrières…
Note 2 : Les Rois de France faisaient couronner leurs fils de leur vivant à cette époque, nous l’avons déjà vu plus haut dans ce site.
Note 3 : Etienne n’assistait pas au procès.
Note 4 : le sens littéral du mot ex-communié : en dehors de la communauté. A rapprocher d’un des serments du sacre des Rois de France, souvent mal interprété : « exterminer les hérétiques ». Il s’agissait bien sûr, ce texte étant prononcé en latin, de renvoyer les hérétiques hors de France. Exterminare, c’est à dire en dehors des terminaisons (les frontières) du Royaume, en aucune façon de les tuer, comme cela a souvent été dit ou écrit.
Note 5 : Henri François Delaborde (1854/1927), historien et auteur d’un ouvrage sur l’histoire des premiers seigneurs de Joinville nous rapporte qu’Etienne ne rendit que très partiellement ce qu’il avait usurpé : simplement Ragecourt et Vaux-sur-Blaise.